<retour               ALFRED WEGENER           (Naturaliste ?)  

Pour dévoiler les états antérieurs du globe, toutes les sciences s'occupant des problèmes de la terre doivent être mises à contri­bution et ce n'est que par la réunion de tous les indices fournis par elles que l'on peut obtenir la vérité; mais, cette idée ne paraît toujours pas être suffisamment répandue parmi les chercheurs.

Ainsi, le géologue sud-africain bien connu Du Toit, écrit récemment : «Toutefois, comme nous l'avons déjà fait remarquer, c'est à la Géologie qu'incombe presque exclusivement la tâche de décider de la probabilité de cette hypothèse (des translations continentales), car les arguments basés sur la répartition des animaux y sont impropres, puisqu'ils peuvent s'expliquer en général, quoiqu'un peu moins parfaitement, à l'aide de la conception orthodoxe qui admet des anciennes larges liaisons continentales, actuellement sub­mergées par les océans ».

Par contre, le paléontologue Won Ihering  est catégorique et concis : « Ce n'est pas ma tâche de m'occuper de phénomènes géophysiques ». Il est arrivé à la « conviction que ce n'est que l'évolution de la vie terrestre qui permet de saisir les transformations géographiques de jadis ».

Moi aussi, dans un moment de faiblesse, j'avais écrit à propos de la théorie des translations : « Pourtant, je crois que la décision définitive quant à sa validité ne pourra être donnée que par la Géophysique, seule science disposant de méthodes exactes en nombre suffisant. Si cette science arrivait à la conclusion que la théorie des translations est fausse, toutes les sciences relatives au globe devraient y renoncer, malgré toutes les confirmations, et on devrait chercher une autre explication de ces données ».

On pourrait citer un grand nombre d'opinions semblables d'après lesquelles chaque chercheur tient sa propre spécialité pour être la plus compétente ou la seule compétente.

Mais, en fait, il est évident que les choses se passent tout autrement. Ce qui est certain, c'est qu'à une époque donnée la terre ne peut avoir eu qu'une face sur laquelle elle ne nous fournit pas de renseignements directs. Nous sommes devant la terre comme un juge devant un accusé refusant toute réponse, et nous avons la tâche de découvrir la vérité à l'aide de présomptions. Toutes les preuves que nous pouvons fournir présentent le caractère trompeur des présomptions. Quel accueil réserverions-nous au juge qui arriverait à sa conclusion en utilisant seulement une partie des indices à sa disposition ?

Ce n'est qu'en réunissant les données de toutes les sciences qui se rapportent à l'étude du globe que nous pourrons espérer obtenir la « vérité », c'est-à-dire l'image qui systématise de la meilleure façon la totalité des faits connus et qui peut, par conséquent, prétendre être la plus probable. Et, même dans ce cas, nous devons nous attendre à ce qu'elle soit modifiée, à tout moment, par toute nouvelle découverte, quelle que soit la science qui l'ait permise.     

C'est cette conviction qui m'a servi de stimulant toutes les fois que mon courage paraissait faiblir pendant la refonte de ce livre. En effet, l'étude de la littérature concernant la théorie des translations qui augmente sans cesse, dans toutes les sciences, dépasse la capacité de travail d'une seule personne; aussi constatera-t-on, malgré la peine qu'on s'est donné de les éviter, de nombreuses et sensibles lacunes dans notre exposé. Si, malgré tout, je suis arrivé à lui donner l'ampleur qu'il atteint, je le dois uniquement aux envois extraordinairement nombreux, provenant d'auteurs de tous les domaines, que je tiens à remercier ici.

Ce livre s'adresse au même degré aux géodèses, géophysiciens, géologues, paléontologues zoogéographes, phytogéographes et paléo-climatologues. Son but n'est pas uniquement de donner aux chercheurs travaillant dans tous ces domaines un exposé schématique de l'importance et des possibilités de la théorie des translations dans leur propre science, mais avant tout de les orienter dans les applications et confirmations qu'elle a obtenu dans les autres domaines.

Le lecteur trouvera dans le 1er Chapitre tout ce qu'il faut savoir sur l'historique de ce livre qui est en même temps l'historique de la théorie des translations.

Ce n'est que pendant la correction des épreuves que parut la démonstration, à l'aide des mesures de longitudes effectuées en 1927,de la dérive actuelle de l'Amérique du Nord. Le lecteur la trouvera à la fin du volume.           

Alfred Wegener.

Graz, novembre 1928.

 

 extrait de Alfred WEGENER, La genèse des continents et des océans, Librairie Nizet & Bastard, Paris 1937

 

Reconstitutions du globe à trois époques géologiques d'après la théorie des translations continentales

(édition de 1937)

mise en ligne P.Lachassagne 2003  www.naturaliste.net