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J. Ursat 1913

Extraits de " LE SAFRAN DU GÂTINAIS "

par J. Ursat 1913

 

SAFRAN DU GÂTINAIS CARACTÈRES BOTANIQUES

 

INTRODUCTION ET DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE DU SAFRAN DANS LE GÂTINAIS

 

 

 

 

 

 

SAFRAN DU GÂTINAIS

CARACTÈRES BOTANIQUES

Le safran (crocus sativus, All.) est une petite plante bulbeuse, acaule, de la famille des Iridacées; elle est probablement originaire d'Asie. Le bulbe, appelé vulgairement oignon, est dit solide ; il est arrondi en dessus, avec une dépression au centre et aplati en dessous. Plusieurs tuniques minces et scarieuses l'enveloppent ; la plus externe, d'un brun jaunâtre, porte le nom de tunique ou robe de l'oignon et ressemble assez à un amas de filasse.

La plupart des feuilles aériennes, au nombre de 6 ou 7, partent du sommet du bulbe ; elles ont un limbe allongé très étroit, terminé en pointe et d'un très beau vert. Ce limbe est divisé sur sa face supérieure, dans le sens longitudinal, par une ligne argentée.

De l'aisselle des tuniques ou de la partie supérieure de l'oignon naissent ordinairement 2 ou 3 pédoncules floraux, mais on en a parfois trouvé 12 et mémo 18 sur le mène bulbe, ce qui se rencontre d'ailleurs très rarement. La fleur, de couleur violette, est hermaphrodite, régulière, avec nu périanthe longuement tubulaire comprenant six pièces disposées en verticilles trimères. Les pièces du verticille extérieur (sépales) alternent avec celles du verticille intérieur (pétales).

L'androcée est composé de trois étamines superposées chacune à un sépale ; leur filet s'insère vers la gorge formée par le périanthe et porte une anthère biloculaire s'ouvrant par deux fentes longitudinales extrorses.

Le gynécée comprend un ovaire il trois loges, surmonté d'un style grêle très allongé qui se divise en trois stigmates ou flèches, triangulaires, denticulés et plissés, d'un rouge vif brillant et velouté. Ces stigmates sont très odorants, ils constituent le safran du commerce après avoir été desséchés. lis contiennent une matière colorante jaune orangé à laquelle on a donné les noms de polychroïte, de safranine et de crocine. L'ovaire est rarement fécondé ; le fruit est sine capsule allongée, trigone, loculicide, renfermant plusieurs graines presque rondes qui mûrissent rarement d'une façon parfaite dans le Gâtinais.

Une fois plantés, les oignons produisent à leur base de nombreuses racines blanches. Chaque bulbe ne fleurit qu'une fois, en septembre ou octobre ; il est ensuite remplacé supérieurement par un ou plusieurs oignons nés sur la partie solide ou plateau. le plateau se dessèche, disparaît à la fin de la première année de plantation et fait place aux nouveaux bulbes ou caïeux. On s'explique ainsi pourquoi les oignons de safran s'élèvent en terre de 0m 02 environ chaque année.

Les feuilles apparaissent pendant ou aussitôt après la floraison, elles couvrent le sol d'un tapis vert agréable à la vue et persistent jusqu'au printemps.

INTRODUCTION ET DÉVELOPPEMENT

DE LA CULTURE DU SAFRAN DANS LE GÂTINAIS

Nous ne connaissons ni l'époque de l'introduction du safran dans le Gâtinais, ni le nom de l'importateur.

Plusieurs auteurs ont écrit que la culture de cette précieuse plante dans notre région "remonte officiellement, dit-on, à 1698; un édit de Louis XIV en autorisa la culture. "

Cette version est erronée ; on trouve, en effet, dans les minutes de baux bien antérieurs à cette date des preuves indiscutables de la culture du safran sur des surfaces importantes de la région gâtinaise.

M. Devaux, maire de Pithiviers, a bien voulu me signaler le passage suivant d'un ouvrage intitulé : Le Cérémonial français, de François de Godefroy, chroniqueur du XVIIe siècle, Paris 1649, 2 vol. in-folio, que reproduit Achille de Rochambeau dans son livre La Famille de Ronsard, Paris 1868, page 187 :

" Lors de l'entrée solennelle de la reine Élisabeth, femme du roi Charles IX, au retour de son sacre, le 29 mars 1571, sur un des portails rustiques élevés aux barrières de Paris, on voyait un tableau représentant un homme foulant aux pieds des tiges de safran qui n'en fleurissaient que mieux, pour rappeler la grandeur de la France qui semble s'accroître avec l'adversité.

" Au-dessous, on lisait ce quatrain de Ronsard, composé pour la circonstance

Tant plus on foule aux pieds la fleur

Du saffran, plus est fleurissante,

Ainsi de France la grandeur :

Plus on la foule et plus augmente.

Dans la culture du safran, on ne foule jamais les tiges ; Ronsard a sans doute voulu faire allusion à ce fait que si une plantation vient à être piétinée accidentellement, les endroits où le sol a été ainsi tassé fournissent plus de fleurs que les autres. Le tassement rend plus active et plus complète la dessiccation du sol en favorisant l'ascension de l'eau par capillarité. Ainsi qu'on le verra plus loin, la production des fleurs est toujours abondante si le sol reste sec pendant le repos estival du safran.

Quoi qu'il en soit, puisque Ronsard connaissait si bien le safran, il a fallu pour cela qu'il l'observe attentivement, ce qui laisse à penser que la précieuse plante qui nous occupe était alors cultivée dans notre pays.

Dans son Histoire du Gastinois (Gâtinais), publiée en 1630, Dom Morin, grand prieur de l'abbaye royale de Ferrières, près Montargis, fait le récit suivant en parlant de Boynes qui est restée un centre réputé pour la bonne qualité du safran :

" Bouënes est une petite ville champêtre près Gobertin, dont les habitants sont presque tous laboureurs.

" Le territoire de Bouënes abonde en safran principalement, et les habitants des environs en font grand trafic, les Allemands y font tous les ans une descente pour acheter de celte marchandise, et s'en vend pour plus de trois cent mille livres par an ; il est autant estimé que celui qui croit sur le mont du Liban. "

De la Taille des Essarts, dans un mémoire paru en 1766, dit :

" J'aurais bien voulu donner en passant un tribut d'une juste reconnaissance aux mânes de celui à qui nous avons, en ces provinces, l'obligation de la culture du safran : je n'ai pu le connaître avec quelque certitude. J'ai cependant lu, en quelque endroit, que c'est un gentilhomme de la maison des Porchaires, à qui appartenait alors la terre de Boynes, qui y apporta d'Avignon les premiers oignons de safran, sur la fin du quatorzième siècle ; ce qui s'accorde assez avec la tradition : je ne vois même pas que le safran ait été cultivé dans aucune partie de la France avant les Croisades. "

De son côté, Dom Morin ajoute :

" Proche ledit Bouëne est un château d'assez belle apparence nommé Monceaux, lequel appartient aux enfants de M. de Rhodes. Anciennement il appartenait aux seigneurs les Porchaires, antique maison fort estimée dans les annales de France. "

Mais il ne donne aucun renseignement précis sur le gentilhomme Porchaire qui aurait introduit le safran dans le Gâtinais.

La culture du safran dans notre région a donc une origine vague qu'il est impossible de préciser ; par contre, on sait qu'elle eut un plein succès et prit un rapide développement à Boynes, Givraines, Courcelles-le-Roi, Gaubertin, Ascoux, Yèvre-la-Ville, Batilly.

Les anciens rois de France protégèrent cette culture dont les produits attiraient l'argent de l'étranger. On cite notamment une ordonnance de Henri II ; Louis XIV aurait, dit on, également rendu un édit dans ce sens.

En 1787 (1), l'intendant d'Orléans évaluait, dans un rapport, à 40 millions de livres argent (an prix de 30 livres la livre poids) le produit du safran au temps de sa plus grande prospérité.

Un peu plus tard, la production était tombée à 12 millions.

En 1862, le safran occupait 1.115 hectares.

Cette surface s'élevait à 1.143 hectares en 1869. Le rendement était alors de 9 à 12 kilogrammes par hectare ; le prix variait de 90 à 100 francs le kilogramme.

Le long et rigoureux hiver de 1879-1880 détruisit une grande quantité de bulbes, mais les cultivateurs ne se découragèrent pas : ils ramassèrent avec un soin minutieux, pour les planter, tous les bulbes n'ayant pas souffert du froid.

L'hiver de 1890-1891 porta un nouveau coup à la culture du safran.

L'avilissement des cours amena, il y a une dizaine d'années, une crise qui s'est aggravée du fait de la rareté de la main d'œuvre.

Les cultivateurs de safran du Gâtinais cherchèrent, dès 1903, un remède à une situation qui leur pesait lourdement. Sur l'initiative de M. Midorge, de Gaubertin, ils se réunirent en congrès le 2 mai 1903, au Théâtre de Pithiviers. Ce fut M. Bonlieu, président de la Société d'Agriculture, qui ouvrit la séance et invita les assistants à nommer leur président et ses assesseurs, ajoutant que les membres du bureau de la Société d'Agriculture entendaient rester en dehors de cette nomination. M. Georges Thomas, agriculteur à Auxy, représentant aujourd'hui le canton de Beaune-la-Rolande au Conseil général, fut acclamé comme président. Il fit l'historique de la crise et exposa le but de la réunion.

Trois assistants : MM. Midorge et Lesseur, de Gaubertin, et Luche, d'Auxy, demandèrent à exposer leurs idées.

M. Midorge fit un très long discours, rappelant par le menu les détails de la crise agricole et viticole qui s'est abattue sur le Gâtinais, les luttes des populations gâtinaises pour la conjurer avec la culture de la pomme de terre, qui est aujourd'hui compromise par diverses maladies.

Pour remédier à la situation, M. Midorge ne vit qu'un moyen : revenir à la culture du safran, dont il fit l'historique depuis 1630 jusqu'à nos jours, avec force détails très intéressants.

Il se déclara un partisan convaincu de l'établissement de droits de douane sur les safrans étrangers, préconisa la création d'un syndicat de safraniers dans l'arrondissement, et montra la supériorité. du safran du Gâtinais sur celui des autres pays. En terminant, il demanda qu'un contrôle sérieux soit établi pour la répression des fraudes sur le safran, que l'admission temporaire existe pour les safrans comme elle existe pour les blés, et enfin combattit la création de primes d'encouragement.

M. Lesseur s'associa aux paroles de M. Midorge, et dit qu'il ne serait pas ennemi de la constitution d'un syndicat pour la vente des safrans du Gâtinais.

M. Luche demanda que le droit d'entrée sur les safrans d'Espagne fît fixé à 30 fr. par kilogr.

M. Martellière, président du Syndicat des Agriculteurs de l'arrondissement, combattit l'établissement de droits de douane.

La discussion terminée, M. Thomas, président, mit aux voix un ordre du jour de priorité en faveur des droits de douane, qui fut adopté.

Furent successivement adoptés à l'unanimité : un vœu tendant à ce que le gouvernement établisse, le plus tôt possible, un droit d'entrée en France sur les safrans étrangers ;

Un deuxième vœu tendant à ce que le droit d'entrée soit fixé à 30 fr. par kilogr. ;

Un troisième vœu tendant à ce que les safrans bénéficient de l'admission temporaire telle qu'elle se pratique pour les blés.

Se basant sur les décisions prises par cette grande assemblée qui réunit la presque totalité des safraniers du Gâtinais, M. Georges Cochery, député de l'arrondissement, déposa, la même année, à la Chambre, une proposition de loi qui fut renvoyée à la commission des douanes. Cette commission, sur le rapport de M. Camuzet, se déclara favorable à l'établissement d'une prime à la culture du safran, mais rejeta le projet visant l'augmentation du droit de douane. En 1906, les cultivateurs se groupèrent en syndicat et obtinrent. du Parlement le vote d'une prime annuelle destinée à encourager la culture du safran. /….

(1) J'extrais ces chiffres du rapport présenté par M. B.-B. Midorge au congrès tenu par les cultivateurs de safran du Gâtinais le 2 mai 1903 à Pithiviers. (Voir Bulletin mensuel de la Société d'Agriculture de l'arrondissement de Pithiviers, mai 1903).