retour Incinération des déchets : miracle ou mirage ?

par Pascal SAFFACHE

Jusqu'à une époque très récente, la mise en décharge était considérée comme la technique de gestion des déchets la plus simple et la moins coûteuse. A titre d'exemple, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie, ce sont respectivement 70, 83 et 85 % des déchets qui furent ainsi stockés (ADEME, 1997).

Bien que les décharges cumulaient les inconvénients (émissions de gaz carbonique et de méthane, odeurs nauséabondes, écoulement de lixiviats, pollution des sols et de la nappe phréatique, prolifération des rats, chiens errants, altération du paysage, etc.) leur faible coût de fonctionnement (250 à 600 F la tonne) ne pouvait que décourager l'adoption d'un autre mode de traitement des déchets.

La loi européenne du 13 juillet 1992 interdisant la mise en décharge des déchets bruts au-delà du 1er juillet 2002, il devint impératif de trouver des solutions de remplacement. Parmi les solutions envisageables (méthanisation, bio-gaz, compostage, thermolyse, incinération, etc.) nombre de municipalités optèrent pour l'incinération.

La technique de l'incinération s'est rapidement imposée car elle ne nécessite aucun traitement préalable, permet de réduire de près de 90 % le volume des déchets, offre la possibilité de récupérer et de valoriser l'énergie utilisée (production d'électricité), est parfaitement adaptée au traitement de grandes quantités de déchets.

Si cette technique offre tant d'avantages, comment comprendre qu'elle soit si décriée aujourd'hui ?

Pour comprendre cette ambiguïté, rappelons qu'aux Pays-Bas, à la fin des années 1980, des vaches laitières pâturant à proximité d'une usine d'incinération produisirent du lait contenant de la dioxine. Les études toxicologiques qui furent alors menées conclurent à la responsabilité de l'incinérateur dans l'émission de cette substance mortelle et dans la contamination du lait de vache. Les populations refusent maintenant que soient installées à proximité de leur habitat des infrastructures susceptibles de libérer ce poison.

La situation est d'autant plus alarmante qu'en dépit des seuils de tolérance drastiques fixés par l'Union européenne (0,1 ng/m3 de fumée), 85 % des usines d'incinération françaises rejettent des quantités de dioxines plus de cent fois supérieures aux normes autorisées ; les 15 % restant rejetant des doses comprises entre une et cent fois la norme (ADEME, 1998).

Une situation qui nous pousse à nous interroger. La solution proposée pour lutter contre la prolifération des décharges n'est-elle pas pire que le mal ? En outre, aux aspects sanitaires qui hypothèquent durablement l'avenir des populations riveraines, s'ajoutent des contraintes économiques :

les incinérateurs nécessitent des investissement très élevés et des coûts de fonctionnement sans cesse croissants.

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Un exemple révélateur et alarmant

A Fort-De-France, pour remédier aux diverses pollutions et nuisances de la décharge de la Trompeuse, la municipalité a opté de façon inconditionnelle pour la mise en place d'un incinérateur, mais de nombreuses interrogations demeurent quant à ses conséquences. Pour ne prendre qu'un exemple, la législation relative à l'exploitation des usines d'incinération d'ordures ménagères impose la mise en place d'un centre d'enfouissement (réservé aux déchets spéciaux ou toxiques) de classe I pour recueillir les déchets dits ultimes. Ce centre d'enfouissement ne figurant pas dans le plan municipal d'élimination des déchets. la question se pose de savoir ce que deviendront ces déchets. Seront-ils subrepticement déversés dans la nature (comme cela est pratiqué par certains industriels qui rejettent leurs vinasses dans les rivières sans traitement préalable) ou stockés en attendant que la législation soit respectée ?

Se pose aussi la question de savoir ce que les produits valorisables (de catégorie V) deviendront. Ces résidus (mâchefers, etc.), qui peuvent entrer dans la composition d'enrobés, doivent obligatoirement être entreposés loin des rivières. Les terrains qui jouxtent le site réservé à l'incinérateur n'offrant aucune possibilité de stockage, quelle solution sera envisagée ?

En définitive, il semble que la mise place de cet incinérateur a été quelque peu précipitée. S'il est vrai que l'échéance du 1er juillet 2002 doit impérativement être respectée, cela n'empêchait nullement les responsables municipaux d'envisager l'emploi d'autres techniques susceptibles d'éliminer les déchets : le compostage par exemple, mais qu'il importe alors de coupler à un tri sélectif drastique, car on sait que dans de nombreux pays européens, les composts obtenus à partir de déchets non, ou mal, triés ont largement pollué les sols.

En Martinique, la technique du compostage n'a jusqu'à présent pas été employée, par contre le tri sélectif a été mis en pratique par quatre communes depuis un peu plus d'une année et d'autres communes devraient y venir au cours du premier trimestre 2001.

En réalité, il n'existe pas de solution miracle pour éliminer les déchets et lutter contre leur pollution, seul l'emploi de techniques complémentaires (tri sélectif, compostage, valorisation...) peuvent s'avérer véritablement efficaces.

Il faudra bien, à terme, assumer les conséquences sanitaires de l'incinération des déchets et, bien évidemment, les conséquences électorales.

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Texte publié dans Le courrier de la nature N°192 mars-avril 2001