retour                            L'éclipse totale de soleil du 28 mai 1900 observée à 

                                               Elche en Espagne par l'abbé Théophile Moreux

abbé Théophile MOREUX  1900                                    extrait de Quelques heures dans le ciel, 1911   pages 21 -24

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J'ai eu le plaisir de la contempler deux fois dans ma vie, cette auréole faite de matière de rêve.

C'était d'abord en Espagne, dans la fraîche oasis d'Elche, au moment de l'éclipse du 28 mai 1900. Quel merveilleux spectacle! Le soir même, je résumais ainsi les impressions ressenties pendant cette minute inoubliable : "  Voici le moment !  Le ciel devient livide, les montagnes prennent une teinte violet foncé ; quelques cirrus blanchâtres apparaissent au-dessus des crêtes des sierras découpées en dents de scie, la lumière du jour s'assombrit comme au crépuscule.

Je suis dans une attente fiévreuse. C'est qu'il va me falloir dessiner l'éclipse et je n'ai qu'une minute dix-huit secondes pour ce travail ! Tout est là sur ma table à portée de ma main. Je m'exerce, je fais des répétitions, mon encre de Chine étendue au pinceau ne sèche pas assez vite. Plus que quelques minutes.

Au-dessus de moi le ciel est de plus en plus sombre, tandis qu a l'horizon la lumière crépusculaire s'affirme davantage ; nous sommes sur les bords du cône d'ombre projeté par la Lune. 

 

Encore une minute !

 

Je voudrais voir s'éteindre le dernier rayon de soleil, mais il me faut fermer les yeux pour être plus apte à saisir les moindres nuances de la couronne. Je me résigne et j'attends, avec quelle angoisse !

éclipse 1900 Elche (Th. Moreux)

Elle est longue la minute suprême. Si on allait m oublier ? Mais non. Voici le hop attendu. J'ouvre les yeux. L'éclipse totale est commencée. Spectacle magique !

Le Soleil, une tache ronde d'un noir d'encre. Autour de son disque 60mbre, une lumière vaporeuse, légère, lumineuse malgré cela, et pailletée d'or et d'argent. On dirait la couronne tissée de fils transparents, presque irréels.

A gauche, un large faisceau fuse de l'équateur. A droite, l'extension est double. L'une des pointes est justement dirigée vers Mercure, qui brille d'un merveilleux éclat. C'était bien la forme générale que j'attendais.

Cette contemplation dure quelques secondes à peine. Je n'ai pas un seul instant éprouvé ce sentiment de frayeur que ressentent certaines personnes, même les astronomes parfois. Mais devant ce spectacle si compliqué de la couronne solaire, une sorte d'anxiété me saisit à la pensée que jamais une minute ne pourra me   suffire   pour   dessiner   la   merveille.

Tout mon sang afflue violemment au cerveau, mon cœur bat plus vite, et un tremblement nerveux m'agite...

Bientôt un rayon, perçant d'un trou blanc et lumineux le bord du disque noir, a rompu sans merci le charme. La couronne s'évanouit. Tous nous devons suspendre les observations qui n'ont plus de raison d'être. J'abaisse avec résignation les regards sur mon dessin où du rêve envolé et trop bref, il reste au moins la forme. "

L'aspect d'une éclipse totale est très différent suivant les époques où on l'observe.

couronne de l'éclipse de 1900 (Th. Moreux)

Lors des périodes d'activité solaire, la couronne envahit l'astre tout entier ; on dirait le Soleil plongé dans un milieu dense l'enveloppant de toutes parts. Telle était la forme de la couronne pendant l'éclipse visible en 1905, à Sfax, où ma mission put étudier et photographier le phénomène.

A mesure que la fièvre solaire se calme, les extensions et les jets coronaux s'éloignent des pôles du Soleil et se recourbent gracieusement   vers   des   latitudes   moins élevées. A ces époques, la couronne affecte vaguement la forme d'une croix de Saint-André. Puis, peu à peu, les extensions se rapprochent et lorsque la surface du Soleil est dans un état de repos, toujours relatif d'ailleurs, la couronne ressemble à celle que j'ai observée en 1900.

En raison de la faible bande couverte par l'ombre de la Lune sur la Terre, les éclipses de Soleil en un lieu donné sont excessivement rares.

Ainsi, à Paris, il n'y a eu qu'une éclipse totale de Soleil, au XVIIe siècle, celle de 1654, une seule aussi au XVIIIe, en 1724, et au XIXe siècle, aucune ne fut visible Au XXe  siècle, la région parisienne sera favorisée de deux éclipses intéressantes. L'une aura lieu le 17 avril 1912, vers midi, l'autre le 11 août 1999.

La première surtout, et pour cause, appelle notre attention. En France, elle 6era probablement annulaire, c'est-à-dire que le disque de la Lune ne cachera pas tout à fait celui du Soleil. La bande d'ombre pénétrera sur notre territoire

à une dizaine de kilomètres au sud-est des Sables d'Olonne et se déroulera presque en ligne droite jusqu'à Liége. Elle traversera la banlieue parisienne entre Saint-Germain-en-Laye et le Vésinet, à une quinzaine de kilomètres des Observatoires de Paris et de Meudon.

Si cette éclipse est totale, sa durée dans nos régions ne dépassera pas deux ou trois secondes.

De toutes façons, elle constituera un merveilleux spectacle pour le grand public, bien que les astronomes n'en puissent pas tirer tout le parti qu'ils auraient désiré pour la physique solaire.

Fixer les lois qui régissent notre grosse étoile centrale, étudier les fluctuations de son activité, de sa température qui oscille entre 6 000 et 8 000 degrés ; prévoir les époques où les matériaux solaires en se condensant amèneront une surchauffe de l'astre, donneront lieu aux phénomènes des taches ; produiront une recrudescence de chaleur sur la Terre, un surcroît d'évaporation des océans, une précipitation plus abondante des pluies, en un mot, toutes les vicissitudes de notre climat, tel est le rôle principal de l'astronome observant patiemment le Soleil, tel est le but que doit se proposer cette science nouvelle, la Physique solaire; elle seule nous permettra de prévoir longtemps à l'avance le temps qu'il fera, elle seule pourra nous dicter un jour les grandes lois de la météorologie terrestre.  

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mise en ligne Patrick Lachassagne 2004

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