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   ASTRONOMIE PHYSIQUE                                 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1923. 364 - 366

. - Sur la cause probable de la lueur anti-solaire.   Note de M. Th. MOREUX, présentée par M. B. Baillaud.
 

On sait qu'en certaines circonstances favorables on peut apercevoir, la nuit par un ciel pur, une tache elliptique de 10° ou 20° d'étendue, faiblement illuminée et occupant, sur la voûte céleste, une région toujours opposée au Soleil : c'est la lueur anti-solaire ou gegenschein.

Cette lueur a été signalée indépendamment par Brorsen (1855) Back-house (1868) et Barnard (1873). J'ai pu l'apercevoir quelques fois au cours d'observations faites en pleine campagne; son intensité est beaucoup plus faible que celle de la lumière zodiacale en nos régions.

Différentes hypothèses ont été émises pour expliquer ce phénomène; la plus intéressante est due à Gyldèn qui l'a formulée dans son Mémoire : Sur un cas particulier du problème des trois corps (1). L'auteur y démontre tout d'abord que si l'on plaçait une particule, tel un météore de masse négligeable, sur le prolongement d'un vecteur joignant le Soleil à la Terre et à 1 500 000km environ du centre de notre planète, donc derrière elle par rapport au Soleil, cette particule resterait dans cette position et tournerait autour de l'astre central dans le même temps que la Terre. . Cet état d'équilibre cesserait pour une position, même très rapprochée de cette sorte de " point neutre ", mais il y a deux exceptions à cette règle générale : la première se présente dans le cas où la petite masse, située au point neutre, se déplacerait sur une droite perpendiculaire au plan de notre orbite; elle exécuterait alors une oscillation dont la période serait de 183 jours; si la particule était déplacée latéralement, tout en restant dans le plan de l'écliptique, elle décrirait une petite ellipse très excentrée en une période de 177 jours. L'orbite, dans ce dernier cas, centrée sur le point neutre, serait assez instable et la moindre perturbation en déplacerait le centre; au bout d'un certain nombre de révolutions, la particule ne tarderait pas à s'éloigner en décrivant une trajectoire parabolique ou hyperbolique.

Si maintenant, avec Gyldén, nous imaginons qu'il existe, au delà de notre orbite, une circulation intense de météores analogues à ceux qui constituent la lumière zodiacale, on peut légitimement supposer qu'il s'en trouvera toujours un grand nombre susceptibles de passer par ce point neutre où ils seront relativement immobilisés pour un temps. La procession ininterrompue des particules sera donc suffisante pour assurer la persistance d'un nuage cosmique en cette région.

D'autre part, la longueur maxima du cône d'ombre de la Terre n'excédant jamais 1 400 000km, les particules du nuage en question ne peuvent cesser d'être illuminées, ce qui expliquerait la persistance de la lueur anti-solaire.

Cette théorie, la meilleure à mon avis qu'on ait donnée du phénomène, n'est cependant pas à l'abri de toute objection. Elle suppose en effet un nombre considérable de météores pour alimenter sans cesse le nuage illuminé. Or l'existence d'un nombre aussi élevé de météores est tout au moins fort problématique. Nous avons bien quelque raison de croire que la lumière zodiacale se continue au delà de la Terre, mais, d'autre part, mes propres observations tendent à montrer que le grand axe de la lumière zodiacale est approximativement dans le prolongement de l'équateur du Soleil et incliné de 5° à peu près sur l'écliptique (2); la Terre circulerait donc la plus grande partie de l'année en dehors de la portion la plus dense de la lumière zodiacale.

En outre, bien que les différences de vitesses orbitales entre la Terre et des particules situées à 1 500 000 km au delà de notre orbite soient faibles, il est difficile d'admettre, ainsi que je l'ai montré récemment (2), qu'en l'absence de milieu fortement résistant, le cas d'une capture directe soit possible, aucune particule ne pouvant aborder le point neutre sans une grande vitesse propre relative.

Ces objections capitales disparaîtraient si l'on pouvait montrer que le nuage cosmique constituant la lueur anti-solaire est, non alimenté par les régions extérieures à notre orbite, mais se forme aux dépens de substances émanées de notre propre globe.

Or celte dernière hypothèse acquiert une haute vraisemblance si nous • considérons les effets de la pression de radiation sur notre atmosphère. Évidemment, ces effets s'annulent dans les couches basses à forte densité relative, mais aux grandes altitudes, nous avons un milieu extrêmement raréfié où la pression de radiation peut, comme dans les enveloppes cométaires, exercer son plein effet.

A l'aide de la formule classique employée pour calculer la longueur du cône d'ombre de la Terre, il est facile d'évaluer à quelle hauteur les tan gentes menées du point neutre au Soleil traversent l'atmosphère terrestre.

En admettant pour le rayon moyen de la Terre, 6871km ; pour rayon du Soleil, 109 fois ce dernier, et pour parallaxe horizontale de cet astre, la valeur de 8", 8o5 d'après les déterminations récentes, je suis arrivé à celte conclusion qu'à la distance moyenne de la Terre au Soleil, les particules atmosphériques situées à 510km au-dessus1 du niveau de la mer, région où se produisent les lueurs aurorales, après avoir subi l'effet de la pression de radiation due au Soleil, décrivent les génératrices d'un cône creux dont le sommet est exactement au point indiqué par Gyldèn.

Si mon hypothèse est exacte, on en pourrait déduire qu'à l'instar des comètes, les planètes doivent posséder une sorte de queue extrêmement ténue en forme de cône creux et formée de gaz très raréfiés.

Une autre conséquence serait la suivante : disparition graduelle de l'atmosphère qui, au début, entoure chaque planète; ainsi s'expliquerait le fait que des planètes à évolution rapide, comme Mars, ou proches du Soleil, comme Mercure, possèdent des atmosphères très raréfiées ou même nulles. La plupart des satellites sont actuellement dans ce cas et l'on peut légitimement inférer dans la circonstance qu'elles ont dû perdre très vite leur enveloppe gazeuse au moment où leur primaire était à l'état incandescent. Lorsque la Terre, en particulier, brillait d'un éclat propre, la pression de radiation de la part d'un globe si proche de la Lune, donc de très grand diamètre apparent, a dû produire des effets d'une extraordinaire intensité sur l'atmosphère de notre satellite et a dû très rapidement en disperser les molécules : telle serait la cause la plus vraisemblable d'un fait certain, qui n'a reçu jusqu'à ce jour aucune explication plausible.

(1) Cf. Bulletin astronomique, vol. I.

(2 ) TH. MOREUX, Origine et formation des Mondes, Chap. VII, n° 99. (2) Op. j. cit., Chap. IX, nos 102 et suiv.

 

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